D’un pas décidé, comme si elle savait exactement où elle allait, elle marche. Son regard se pose sur un détail, puis un autre. Place d’Italie, fondation Cartier pour l’Art contemporain, Alliance Française, premiers cerisiers en fleurs : chaque détail est une invitation au voyage, un clin d’œil à un jalon de sa vie. Au fil de la marche, les fluides se remettent à circuler dans un corps alourdi par la torpeur hivernale.
Elle se sentirait chez elle dans cette capitale, comme dans une autre. Elle aime le mouvement, l’effervescence, les vies qui se frôlent sans se toucher. C’est le sandwich du jour ? Non, un végétarien. 5 euros. Merci, bonne journée. Les contacts éphémères et anonymes de la ville la soulagent de l’atmosphère stagnante de la campagne, des visages trop vite familiers, les mêmes, toujours les mêmes.
En marchant, elle repense à cette lettre, trouvée dans la boîte au retour des vacances d’hiver. L’intitulé est tracé d’une écriture ronde, féminine : « Pour plus de légèreté, de la part de C. ». Elle avait dû lire les quelques pages plusieurs fois. Pourquoi cette lettre ? Finalement, plutôt que la confusion des propos, elle ne retient que la révélation livrée en filigranes dans la missive incongrue : C. est dérangée.
Aux jardins du Luxembourg, la statue de Verlaine détourne sa pensée de ce non-événement advenu quelques jours plus tôt. Le pouls de l’inspiration se remet à battre. Un flot de mots déferle, elle écrit jusqu’à ce que la source se tarisse, au moment où elle lève les yeux vers un groupe de passants. Elle descend dans une bouche de métro. Elle se souvient soudain d’un autre métro, d’un autre fuseau horaire.
Tokyo, station de Shinjuku. Une incroyable marée humaine évolue méthodiquement et dans le calme. Tout le monde se meut en silence au rythme de voix synthétiques, chefs d’orchestre invisibles des ballets de voyageurs. Les consignes sont répétées inlassablement. Tonalité : noir. De monde, de costumes uniformes, de chevelures de jais. Une fois intégrés, les rouages de la machine à se déplacer sont tellement bien huilés, ses acteurs sont si disciplinés, qu'un occidental s’étonne seulement de l'absence d'agressivité ou de malaise, qui pourraient naître dans une telle foule. Assis ou debout, massés dans les wagons, les voyageurs font une chrono-sieste, sont rivés à leurs smartphones ou lisent, souvent des mangas au format d’annuaires téléphoniques qu’ils jetteront à la première poubelle. Rarement discutent, sinon dans un chuchotement.
Une mélodie met un terme à son voyage. Des violons tsiganes, des cuivres et des voix masculines, un chœur russe peut-être, enchante le métro parisien.
Elle marche. Alors que ses pas épousent le sol, son regard englobe la multitude de mots lus ça et là, les imbrique. Les villes sont un terrain de jeux, elles ouvrent l’immensité des possibles et donnent corps aux rêveries d’une promeneuse solitaire.
(Good morning San Francisco, Photo by Artem Kevorkov)